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Documentation

 

 

2ème ESM – Escadrille des sous-marins de l’Atlantique

Sous-marins français à Lorient 1945 – 1995

Par le Contre-amiral (2S) Camille Sellier à l'occasion du 66ème Congrès national des Sous-mariniers - Lorient 22-25 Septembre 2017

 

 

 

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66ème Congrès national des Sous-mariniers

 

Lorient 22-25 Septembre 2017

2ème ESM – Escadrille des sous-marins de l’Atlantique

Sous-marins français à Lorient 1945 – 1995

 

Contre-amiral (2S) Camille Sellier

 

Au commencement était la base

 

       La défaite française de 1940 avait procuré à la marine allemande un atout dont elle avait été privée pendant le premier conflit mondial : l’accès direct à l’Atlantique. Elle s’était empressée de le valoriser au profit de sa flotte de sous-marins en construisant des bases protégées dont la plus accomplie, celle de Keroman, s’appuyait à la fois sur la situation géographique exceptionnelle de Lorient et l’existence d’infrastructures, dont le slipway du port de pêche, et de moyens industriels spécialisés dans la construction navale militaire, l’arsenal.

 

Un élevage de souris mécaniques

 

       La Marine Nationale prenait possession de la base des sous-marins de Keroman le 11 mai 1945, lendemain de la capitulation de la poche de Lorient, et y découvrait à la fois des installations en état de marche et trois sous-marins du type IX, l’U 526 coulé au bassin F de KIII rapidement classé irrécupérable et, au sec dans des alvéoles de KI, l’U 123 en excellent état en indisponibilité et l’U 129 endommagé et désarmé

       Très rapidement il était décidé d’utiliser cette seule base au profit des sous-marins français en Atlantique. Trois bonnes raisons à cela : son bon état, l’existence à proximité du port militaire et de l’arsenal de Lorient, et surtout sa conception unique, deux grands bunkers en surface desservis par un slipway lui-même protégé et un troisième bunker couvrant des bassins capables de recevoir les plus grands sous-marins mis en service dans les derniers mois de la guerre.

       La Marine disposait alors d’une vingtaine de sous-marins, le gros de conception nationale, ayant participé à la guerre tels le Rubis, le Casabianca et le Marsouin, ou non tel l’Iris interné en Espagne après s’être échappé de Toulon le 27 novembre 1942, mais aussi de conception britannique tel le Curie. Elle récupérait aussi des sous-marins allemands, deux type VII et deux type IX, prises de guerre à Lorient, Saint-Nazaire et Toulon puis dans un deuxième temps, grâce à l’obligeance de nos alliés britanniques, deux bâtiments des types les plus récents, l’U 2518 un grand sous-marin type XXI et l’U 2326 sous-marin de petite taille type XXIII qui devait disparaître au large de Toulon le 06 décembre 1946 au cours d’essais. Il était alors décidé de procéder à un tri, désarmer les sous-marins obsolètes, intégrer les bâtiments allemands utilisables, terminer les constructions interrompues par la guerre, soit reconstituer une force sous-marine prenant en compte les dernières évolutions techniques. Cette démarche conduisait à la mise en place de deux escadrilles de sous-marins, la 1ère ESM basée à Toulon et la 2ème ESM à Lorient.

       Parallèlement la Direction des Constructions Navales installait à Keroman une annexe de sa direction et le chantier, moyens industriels et personnels propres à assurer le soutien technique, indisponibilités courantes et grands carénages, des sous-marins affectés à l’Escadrille. Cette cohabitation, pour ne pas écrire imbrication, de l’Escadrille, de la BSM et du chantier devait s’avérer particulièrement efficace et perdurer pendant les cinquante ans d’affectation de sous-marins à Lorient. En régime établi, sur plus de trente cinq années, les deux entités ont compté environ 1.000 militaires et 1.000 personnels DCN et sous-traitants, soit, avec les familles, une population de près de 5.000 personnes.

       Les quatre premières années de l’Escadrille sont marquées par la prise en charge des sous-marins ex-allemands récupérables renommés Blaison, Bouan, Millé et Laubie en mémoire de sous-mariniers disparus pendant la guerre toute récente, le 2518 devenant le

Roland Morillot, nom de l’héroïque commandant du sous-marin Morse de la Grande guerre. Ceci entendait à la fois l’acquisition de techniques par le chantier et l’apprentissage de leur mise en oeuvre par les équipages dont la maîtrise de la navigation au schnorchel.

Simultanément, les forces ASM, escorteurs et avions de patrouille maritime se reconstituant, une partie importante de l’activité était consacrée à leur entraînement. On est frappé à la lecture des rapports de fin de commandement de l’époque par l’accumulation des difficultés matérielles et logistiques mais aussi par la situation critique du personnel tant en nombre qu’en compétence.

       En 1949 l’Etat-Major de la Marine, prenant en compte un impératif industriel et l’affectation en Méditerranée de la majorité des forces maritimes, décide une réorganisation majeure: regrouper à Toulon les sous-marins disponibles au sein du GASM, organisme dédié à l’entraînement ASM des forces, et consacrer la 2ème ESM et le chantier de Lorient aux seuls grands carénages d’une durée de l’ordre d’un an. Si cette disposition se révèle favorable au développement des capacités industrielles de Lorient et rentable pour l’apprentissage de la lutte ASM par les escorteurs et les avions, elle induit une noria entre les deux ports pour les sous-marins et un supplément de contraintes familiales aux conditions déjà sévères du métier de sous-marinier dans une période tendue concernant le personnel.

 

Reconstruction de forces sous-marines, une mission essentielle au sein de l’OTAN

 

       La reconstitution d’une composante sous-marine avait été entreprise très tôt après guerre. Il n’est pas certain que cette préoccupation ait été sous-tendue par une réflexion stratégique, mais plutôt par la perception sourde du potentiel de cette arme à la lumière des efforts considérables engagés pour vaincre les sous-marins allemands et, symétriquement, le rôle majeur des sous-marins américains contre le Japon, même si ce dernier point était peu connu du grand public. On l’a vu, l’idée première était d’avoir des sous-marins modernes, d’abord pour entraîner nos forces ASM.

       Plus généralement, l’époque étant à la renaissance d’une Marine, pour les sous-marins ce sera le lancement des études du premier type de sous-marin construit par la France après guerre, le Narval, fortement inspiré du type XXI, dont la construction débutera à Cherbourg en 1951. Ce projet constituait un défi technique considérable pour les ingénieurs concepteurs, les constructeurs et plus généralement l’industrie au moment où la reconstruction et la modernisation pesaient sur l’activité générale du pays. Dans le seul domaine de la coque par exemple, au-delà de son architecture et des calculs de résistance, il fallait développer l’acier et les techniques de soudage appropriées pour passer d’une immersion de service courant de 100 mètres pour le type précédent à celle de 200 mètres fixée par le programme militaire. Au total ce seront six sous-marins du type qui seront construits, quatre par l’arsenal de Cherbourg et deux par l’industrie privée et qui seront admis au service actif entre 1957 et 1961. Parallèlement, on achève la construction de L’Artémis et de L’Andromède, du type L’Aurore défini avant guerre, en les modernisant sensiblement par l’installation d’un schnorchel et, au titre de leur développement, des équipements de détection futurs des Narval.

       En 1949 également un autre événement, d’ordre politique, se produit qui aura un impact direct sur la reconstitution de nos forces sous-marines, le traité instituant l’Alliance de l’Atlantique Nord. Par une évolution piquante de la situation stratégique la France à l’origine des sous-marins à la fin du 19 ème siècle face à la puissance maritime qu’était le Royaume Uni avait pu mesurer combien la nation continentale qu’était l’Allemagne avait su en tirer profit au cours des deux guerres du 20ème siècle. Affirmée puissance maritime par son appartenance à l’OTAN face à l’Union soviétique la France retrouvait pour ses sous-marins une mission d’ordre stratégique, la lutte ASM, au-delà des actions tactiques indispensables mais ponctuelles, subalternes et parfois héroïques qui avaient marqué leur emploi contre l’Allemagne. Pour interdire aux sous-marins soviétiques l’accès à l’Atlantique, lieu de passage principal pour le soutien logistique de l’Alliance et des forces américaines en particulier, mais aussi à la Méditerranée, théâtre privilégié pour le déploiement des porteavions de l’US Navy, l’idée de manoeuvre était de disposer les sous-marins alliés en barrage et de les soutenir, directement ou non, par l’aviation de patrouille maritime. Ainsi, le barrage d’Alboran constituait-il la mission de la 1ère ESM basée à Toulon et de son détachement avancé, le GSM 11, déployé à Mers el Kébir.

       Cette définition claire d’une mission pour nos sous-marins avait immédiatement conduit à la conception et la construction des quatre sous-marins de chasse type Aréthuse, entrés en service entre 1958 et 1960 et affectés à Toulon. De faible déplacement, un tiers de celui des Narval, ces bâtiments particulièrement réussis présentaient des innovations techniques tel le joint torique permettant des installations, station de fluide hydraulique et mats oléo-pneumatiques, compactes et très performantes. La propulsion diesel-électrique, également nouvelle à bord des sous-marins français, marquait aussi un progrès considérable en terme d’efficacité opérationnelle et de discrétion acoustique

       Avant même de lancer la construction de l’Argonaute, premier du type Aréthuse, il était apparu d’une part que ce bâtiment conçu pour la lutte ASM risquait d’être mono-mission et d’autre part que sa petite taille interdirait en pratique toute évolution. Par ailleurs les études et développements conduits au profit des types Narval puis Aréthuse ouvraient des possibilités quant à la définition d’un sous-marin de tonnage intermédiaire, dédié en priorité à la lutte ASM mais capable d’un plus grand domaine d’action, plus silencieux, emportant plus d’armes et plongeant à 300 mètres. Ceci donnait naissance au type Daphné, sous-marin à hautes performances, construit en 11 exemplaires pour la Marine Nationale, pour partie par l’arsenal de Cherbourg, pour partie par les chantiers Dubigeon de Nantes, puis, ultérieurement pour l’exportation au nombre de 14.

       Cependant, sous jacente à cet effort de reconstitution de forces sous-marines, se posait la question du sous-marin à propulsion nucléaire. Il faut rappeler que la France avait été en première ligne pour le développement des sous-marins à la fin du 19ème siècle, que jusqu’à la seconde guerre mondiale elle avait été aussi en pointe dans les découvertes de la physique nucléaire et que le CEA voulu par le général de Gaulle en 1945 avait parmi ses missions les applications de l’énergie atomique au profit de la Défense. Des études avaient donc été entreprises dès 1952 qui avaient conduit en parallèle, en 1955 à la mise sur cale à Cherbourg du Q244 et au développement par le CEA d’un réacteur à Uranium naturel, la France ne maîtrisant pas encore l’enrichissement. En fait on devait découvrir qu’il existait là une impasse technologique en raison des dimensions d'un tel réacteur le rendant incompatible

avec le diamètre de la coque. Le programme était donc arrêté en 1958 mais cet échec devait s’avérer riche d’enseignements, d’une part pour un projet futur de réacteur qui utiliserait de l’Uranium très enrichi et ferait l’objet d’un prototype à terre et d’autre part en raison des contraintes induites par la conception même d’un sous-marin de fort tonnage en terme de stabilité et de pilotage. Par ailleurs une grande partie des tronçons de coque du Q244 seront utilisés pour le Gymnote, sous-marin expérimental sur lequel devaient être développés des équipements clés du SNLE Le Redoutable et surtout plate-forme de lancement d’essai des missiles balistiques. Admis au service actif en 1966 ce sous-marin à la silhouette particulière était basé à Lorient en 1968, allant à Pauillac embarquer les missiles tirés au large des Landes. Ultérieurement, en 1971, les installations de l’Ile Longue, future base des SNLE, étant disponibles, il devait être basé à Cherbourg, son port constructeur apte à lui appliquer les nombreuses modifications entraînées par les types successifs de missiles balistiques.

 

Une force homogène arrivant à maturité

 

       En 1957, les sous-marins modernes allant commencer d’entrer en service, la Marine abandonnait le partage des tâches entre Toulon et Lorient et revenait à l’organisation des deux escadrilles assumant à la fois les opérations, l’entretien courant et les grands carénages, la 1ère ESM recevant les Aréthuse, les type VII et les “sous-marins en bois” telle l’Artémis, et la 2ème ESM les Narval, le Roland Morillot et les type IX. Par ailleurs, détail révélateur du fait que le sous-marin n’était pas encore élevé au rang stratégique, chaque escadrille relevait respectivement de l’Escadre à Toulon et de l’Escadre légère à Brest.

       L’arrivée au service des Narval plongeant à 200 mètres conduisait à une nouvelle définition des secteurs d’exercices tenant compte du plateau continental dans le golfe de Gascogne. En fait cette nouvelle carte Zonex n’était qu’une facette perceptible par un observateur extérieur des évolutions importantes tendant à une maturité et une efficacité accrue de la 2ème ESM. Une des premières et plus importantes a été l’entretien périodique des sous-marins et l’articulation programmée des périodes d’activité par accord direct avec le chantier. Cette disposition permise a la fois par la standardisation des matériels, l’approvisionnement de rechanges, la pratique de l’échange standard, la maîtrise des opérations spécifiques aux travaux sur les sous-marins à la fois par le chantier et l’atelier de l’Escadrille avait aussi l’avantage de permettre de dégager dans les programmes d’activité des périodes propices à des entraînements communs entre les sous-marins. Simultanément des progrès importants étaient acquis dans le domaine opérationnel, d’abord au niveau tactique face aux forces ASM, escorteurs et aéronefs, surtout en lutte ASM, sous-marin seul ou en coopération avec un avion de patrouille maritime, mais aussi en terme de contrôle opérationnel depuis un poste de commandement à terre.

       L’activité principale consiste encore à entrainer les escorteurs ASM, les avions de patrouille maritime et un nouveau type de plateforme ASM, les hélicoptères. Ces exercices, les Casex, sont naturellement bénéfiques aussi aux sous-marins qui ne négligent pas par ailleurs leur préparation aux opérations spéciales. Souvenons-nous que la 2ème ESM a une mission du temps de guerre bien définie : interdire aux sous-marins soviétiques l’accès à l’Atlantique, sous-commandement de l’amiral britannique commandant les sous-marins alliés de l’Atlantique Est, en participant au barrage Islande-Faeroes. Il convient donc de s’y préparer. L’art du commandant en second dans l’établissement des programmes d’activité consistera à jouer habilement sur les bonnes relations avec l’Escadre mais aussi user de la proximité de Lann-Bihoué et tirer profit de la mise en vigueur de l’entretien programmé par le chantier de Keroman pour organiser des exercices ASM de plusieurs jours entre trois sousmarins de l’escadrille, voire quatre sous-marins en invitant un britannique de HMS Dolphin, avec participation d’aéronefs de patrouille maritime.

       En novembre 1961, un grand exercice commun aux deux escadres impliquant les sousmarins modernes récemment admis au service, l’Argonaute, l’Amazone et l’Ariane de la 1ère ESM, le Narval, le Dauphin et le Morse de la 2ème ESM, était exécuté dans la zone Oran-Baléares sur une période de trois semaines. Une semaine complète était réservée à la lutte ASM par sous-marin avec ou sans la coopération des avions de patrouille maritime de la BAN Lartigue près d’Oran, en préparation directe au barrage d’Alboran des plans de guerre de l’OTAN. Cachalot 8 démontrait l’aptitude de la Marine à remplir ses missions de l’époque y compris au sein de l’Alliance Atlantique.

       Le rapport de fin de commandement de la 2ème ESM du CF Aubry fin 1961 constitue un marqueur remarquable de cette évolution : on y trouve pour la première fois, étayées par l’expérience, des considérations relatives au contrôle opérationnel, aux missions du temps de paix et du temps de guerre, et des propositions particulièrement pertinentes quant à l’organisation des forces sous-marines.

 

Changement de registre

 

       En 1960 le gouvernement de la République prenait la décision stratégique majeure de constituer une force de frappe nucléaire dont une partie mettrait en oeuvre des missiles balistiques embarqués sur sous-marins à propulsion nucléaire. Ceci allait entraîner non seulement les études et développements qui devaient conduire à la réalisation des programmes SNLE Le Redoutable, missiles balistiques et charges nucléaires, ainsi que l’environnement associé dont la base de l’Ile Longue en rade de Brest, mais se traduire aussi par des évolutions considérables du personnel sous-marinier sur lesquelles nous reviendrons. Par ailleurs la préparation des tactiques et procédures qui seraient nécessaires à la sûreté des SNLE, en particulier à leur sortie du port-base, commençait dès 1963 avec l’exercice Bout-dehors, premier du genre exécuté sous les ordres de l’amiral Amman, Commandant en chef pour l’Atlantique ; il mettait en oeuvre le Marsouin, le Requin et l’Espadon. Deux ou trois sousmarins de l’Escadrille participaient à ces exercices de trois à six jours, l’un dans le rôle du SNLE, les autres dans ceux de sous-marins étrangers que les forces aéronavales nationales avaient pour mission de détecter, pister, empêcher de nuire au sens large. Cette activité reproduite à cadence d’un ou deux ans a constitué le premier soutien opérationnel aux SNLE alors au stade des études et du début de la construction et permis de disposer de procédures efficaces dès la période des essais à la mer du Redoutable en 1969.

       En 1964 deux événements modèlent à nouveau l’Escadrille : la création au niveau d’ensemble de la Marine d’un commandement spécifique des sous-marins et l’incorporation d’un nouveau bâtiment qui n’était pas un sous-marin mais devait jouer un rôle majeur dans leur mise en oeuvre, le Rhône.

       La création d’une force regroupant les sous-marins en service aux ordres d’un amiral (appelé ALSOUMAR) installé à Houilles, important centre des transmissions de la marine dans la banlieue parisienne, au voisinage du pouvoir central, traduisait l’évolution vers l’organisation future des forces nucléaires et la prise en compte du rôle stratégique des sous-marins dans la politique de défense. La nomination à sa tête du vice-amiral d’escadre Lainé, pilote de chasse couvert de décorations, qui devait commander l’escadre, démontrait l’importance de ce nouveau commandement. Naturellement son Etat-major était formé principalement de sousmariniers très expérimentés, le chef en étant le CF Emeury qui avait été le premier commandant du Narval.

       Parmi les prises de guerre la France avait récupéré un “petit paquebot de la Baltique”, du moins présenté comme tel lors de sa construction par l’Allemagne en 1935, qui était en fait un bâtiment de soutien de sous-marins et qui, rebaptisé Gustave Zédé, avait été intégré dans sa véritable fonction, démontrant tout son intérêt à l’usage, comme pour l’exercice Cachalot 8 par exemple. Deuxième d’une série de cinq BSL construits à Lorient, spécialisés à partir d’un dessin commun de la coque et de la propulsion, le Rhône possédait des ateliers équipés pour soutenir les sous-marins et des installations de stockage des torpilles et des accumulateurs. Son équipage était constitué en grande partie de sous-mariniers ayant une excellente maîtrise des matériels, son commandant ne l’étant pas obligatoirement mais deux fois sur trois comme devait le démontrer l’expérience, ce qui permettait de lui attribuer le commandement d’un groupe de sous-marins déployés loin avec son soutien. Ainsi dès 1965 pouvait-on envoyer la Daphné et la Diane aux Antilles et aux Etats-Unis avec périodes de soutien à couple à Fort de France. Ce même schéma devait se reproduire pendant toute la vie active du Rhône au profit de sous-marins déployés dans les eaux les plus diverses, en Arctique, en Atlantique au large de l’Afrique, dans l’Océan indien et même dans le Pacifique en 1985 avec le Rubis, premier sous-marin d’attaque à propulsion nucléaire et à ce titre grand coureur de mer, bénéficiant d’un entretien de trois semaines à couple à Nouméa.

       C’est à cette époque que l’on peut placer le basculement du profit de l’activité des sous-marins français de la stratégie de l’OTAN à la stratégie nationale, en attendant le retrait de l’organisation intégrée des forces de l’Alliance en 1967.

       Parmi les opérations conduites depuis Lorient, les trois missions en Arctique ayant pour objectif de développer nos capacités d’opérer en mers froides, au voisinage de la banquise, voire sous la banquise sont particulièrement démonstratives. En 1964 la Croisière nordique mettait en oeuvre l’Espadon et le Marsouin appuyés par des avions P2V7 de Lann Bihoué déployés en Islande. En 1965, l’opération Sauna préparée et exécutée sous le commandement et le contrôle opérationnels d’ALSOUMAR conduisait le Dauphin et le Narval plus Nord pour des activités plus longues, toujours appuyés par des avions de patrouille maritime et soutenus, en cas de besoin, par le Rhône en attente au mouillage au nord de l’Islande. Enfin l’exercice franco-britannique Formative en 67, qui mettait en oeuvre le sous-marin HMS Olympus, le Narval et le Rhône déployé jusqu’au Spitzberg, était aussi la première activité opérationnelle des avions Atlantic dont l’un était d’ailleurs perdu à cette occasion.

 

Une période très dense : préparer la FOST, soutenir les ventes de sous-marins

 

       En 1965, le Roland Morillot quitte Lorient pour Toulon et y devient sous-marin expérimental pour la mise au point de certains équipements des SNLE. La 2ème ESM atteint alors la taille d’une dizaine de sous-marins qui va être la sienne pendant plus de vingt cinq ans avec les six Narval et des Daphné dont certaines seront parfois affectées à Toulon au gré des grands carénages ; ultérieurement les quatre Agosta succéderont progressivement aux Narval lors de leur retrait du service. Ces derniers auront bénéficié à partir de 1966 avec le Requin d’une refonte importante, exécutée à Keroman, dont l’étude avait été faite en grande partie conjointement par le chantier et l’Escadrille, le STCAN étant mobilisé en priorité pour le programme SNLE, qui tirait profit de l’expérience acquise à leur mise en oeuvre et visait d’abord à corriger la faiblesse congénitale de leurs moteurs Diesel. Le passage à la propulsion diesel-électrique, la modernisation du schnorchel, l’installation de mats oléo pneumatiques, l’embarquement des équipements de détection les plus performants et la mise en place des infrastuctures nécessaires à la navigation en Arctique joints à leur grande autonomie intrinsèque, donnaient une nouvelle vie à ces bâtiments, les rendant particulièrement aptes à des déploiements lointains ou de longue durée.

       En régime établi l’activité était en moyenne de 180 jours de mer par an pour les Narval, 150 pour les Daphné, sans compter les quelques rares escales à l’étranger à l’occasion d’exercices interalliés ou après patrouilles, voire plus rares encore dans des ports français.

       Si l’on exclut une part incompressible d’environ 10% consacrée à l’entraînement propre on peut considérer que l’entraînement mutuel avec les forces ASM représentait environ 25% avec des périodes très denses de trois semaines environ telles les mises en condition opérationnelle après grand carénage, refonte ou changement du commandant ou le cours de commandement annuel. L’arrivée au service des sonars basse fréquence ayant ravivé les capacités des escorteurs augmentées également par l’embarquement d’hélicoptères, il y a eu là une période très intéressante où les sous-mariniers ont appris à se garder et même tirer profit des progrès des moyens de détection adverses plus vite que les bâtiments de surface ASM.

       La lutte ASM par sous-marins tenait bien évidemment une place particulière, s’affirmant comme l’activité tactique la plus exigeante ; ainsi pendant toutes les années 60 et 70 l’Escadrille a-t-elle organisé et contrôlé régulièrement des exercices, dont une série baptisée

Noctambule, auxquels participaient trois ou quatre sous-marins et des avions de Lann Bihoué. De façon très pratique la meilleure école était constituée des grands exercices nationaux ou interalliés, les derniers présentant l’avantage de la confrontation à des équipements et des tactiques différents, à cadence d’un ou deux par an par sous-marin et, plus encore, des opérations réelles telles les interceptions de bâtiments soviétiques, les recueils de signatures acoustiques et les patrouilles en mer de Norvège ou ailleurs en Atlantique et même plus loin.

       Le but était de nourrir des guides de patrouille dans certaines zones toujours plus détaillés traitant des caractéristiques physiques, océanographiques etc…, des activités maritimes, trafic marchand et pêche, mais aussi des activités des bâtiments et aéronefs militaires étrangers et surtout des conditions de recalage de la navigation en regard des exigences du système MSBS.

       Le vieil adage romain fabricando fit faber était une fois de plus vérifié : c’est en faisant des patrouilles et/ou des déploiements lointains qu’on devient sous-marinier.

       Comme cela a déjà été relevé, l’expérience opérationnelle était le premier bénéfice retiré par tout sous-marin ( commandant, officiers et ensemble de l’équipage) de l’exécution de ces patrouilles de deux à trois semaines sur zone, conduites systématiquement comme en temps de guerre et suivies généralement d’une escale en Europe du Nord propice à renforcer encore la cohésion du bord. Si on ajoute à ces activités les missions d’interception de bâtiments soviétiques transitant entre la Flotte du Nord et la Méditerranée, cette période marque pour les sous-marins le passage d’une marine d’exercices, dont l’apport était indispensable à la qualification opérationnelle avec une valeur ajoutée particulière pour les exercices interalliés, à une marine d’opérations réelles.

       On remarquera par ailleurs qu’à partir d’une demande aussi exigeante de concours ou de missions, deux facteurs ont incontestablement contribué à différencier les taux d’activité respectifs, et par-là la présence à la mer génératrice d’expérience, des sous-marins de Lorient comparés à ceux de Toulon : l’existence du plateau continental conduisant à limiter les transits entre le port-base et les secteurs de grands fonds, coûteux en heures de fonctionnement et peu productifs en terme d’opérations sinon au regard de la navigation en plongée dans une zone de petits rails marchands souvent encombrée de chalutiers, et des rythmes d’activité/entretien différents, 6/4 semaines pour les Narval, 4/4 pour les Aréthuse et Daphné.

 

       A partir de 1965 la Marine dans sa globalité et les forces sous-marines en particulier se trouvaient confrontées au développement considérable du personnel sous-marinier qui allait être nécessaire pour armer avec deux équipages les cinq ou six SNLE qui allaient progressivement constituer la composante principale des forces nucléaires. Naturellement le personnel des sous-marins en service formait le premier vivier où puiser pour une croissance à la fois en nombre et en niveau de qualification. Par ailleurs, avant de revenir sur un rôle de formation spécifique important confié aux escadrilles pour contribuer à cet effort, il faut remarquer que de fortes contraintes supplémentaires étaient imposées simultanément à la sous-marinade par les ventes de Daphné à des marines étrangères, contrats bénéfiques politiquement et pour l’industrie nationale mais lourds pour la Marine.

       Les quatre bâtiments destinés au Portugal étant construits par Dubigeon à Nantes, l’escadrille de Lorient se trouvait aux premières loges pour donner aux sous-mariniers portugais lesformations nécessaires pour changer radicalement de génération technique et opérationnelle et passer de sous-marins d’avant guerre au type le plus moderne en service en Europe. L’armement initial et les essais étaient également faits par des équipages français avant transfert de pavillon mais le soutien se poursuivait alors avec l’acquisition d’expérience tactique et la mise en condition opérationnelle. Le même schéma devait être appliqué au profit des trois bâtiments sud-africains, alourdi par le fait qu’il fallait créer ex nihilo une sousmarinade et, à ce titre, former d’abord les personnels officiers et équipages dans les écoles de la Marine et l’école de navigation sous-marine à Toulon. La méthode générale était reconduite pour les trois bâtiments pakistanais, la charge étant mieux répartie avec Toulon qui assurait par ailleurs la transition des personnels espagnols pour les rendre capables d’armer les bateaux du type qu’ils avaient choisi de construire sous licence avec une aide technique importante. Pendant toute la période de 66 à 72 l’embarquement de stagiaires étrangers était devenu quasi permanent sur les Daphné et fréquent sur les Narval.

 

Deux accidents majeurs

 

       Le 27 janvier 1968 la Minerve, sous-marin du type Daphné affecté à la 1ère ESM disparaissait en Méditerranée. Cet événement tragique et resté inexpliqué était durement ressenti par tous les sous-mariniers qui avaient acquis une confiance totale dans ce type de

bâtiment, en raison d’abord de son étanchéité et de sa manoeuvrabilité. Outre la revue des qualifications des officiers et de l’équipage, la commission d’enquête devait procéder à un examen très détaillé des installations, des consignes en vigueur et des causes possibles de l’accident dont la voie d’eau au schnorchel était retenue comme la plus probable. Par ailleurs, tirant profit d’expérimentations faites à l’aide de bateaux du type pour valider les programmes de calcul de stabilité, pilotage et réactions en cas de voie d’eau qui allaient servir à la conception du Redoutable, le service technique modélisait des incidents survenus précédemment et découvrait que les connaissances et capacités d’analyse du moment n’avaient pas conduit à apprécier correctement leur dangerosité mais à la sous-estimer.

       Trois types de mesures étaient décidées et mises en vigueur aussi tôt que possible : des modifications aux consignes, des modifications aux installations, certaines ne pouvant être appliquées qu’à l’occasion du prochain grand carénage, enfin un renforcement de la formation à bord du personnel et du contrôle de ses qualifications. De plus la construction d’un simulateur de sécurité plongée, à l’imitation des simulateurs de vol, était lancée pour mettre à disposition des équipages un outil d’entraînement à la conduite du sous-marin en situations normales comme en situations dégradées et lors d’avaries ou de voies d’eau. Ultérieurement, une telle plateforme devait être construite pour chaque nouveau type de sous-marin, équiper le centre d’entrainement des SNLE à Brest ou l’Ecole de navigation sous-marine à Toulon et figurer dans le paquet d’achat de sous-marins par les marines étrangères.

       Le 03 mars 1970 l’Eurydice disparaissait à son tour dans des circonstances qui ne devaient pas être éclaircies malgré la localisation relativement rapide de l’épave par exploitation d’enregistrements sismographiques et son examen ultérieur par camera immergée à grande profondeur. Ce bateau de même type que la Minerve appartenait également à la 1ère ESM mais l’émotion et la douleur des Lorientais n’étaient pas moins vives qu’à Toulon car l’Escadrille comportait aussi des Daphné et nous perdions une fois encore des camarades bien connus au sein d’une force de moins de 1.500 hommes à l’époque.

 

La fabrique de sous-mariniers

 

       En 1970, les plus hautes autorités de la Marine durent se rendre à l’évidence : la démarche qui avait permis d’armer Le Redoutable et Le Terrible s’avérait insuffisante pour réaliser avec succès la transition vers la FOST alors décidée, devant comporter le nombre de SNLE nécessaires pour assurer une permanence de trois à la mer, soit six.

       Dans la sous-marinade classique, le recrutement était fait essentiellement au grade de matelot ou jeune quartier-maître ayant acquis une spécialité et se déclarant volontaire pour les sousmarins.

       Après vérification de son aptitude physique et psychologique, on embarquait le jeune homme à l’essai pour une courte période puis, l’officier en second du bateau ayant émis un avis favorable quant à son adaptation et lui-même confirmant son volontariat, on l’envoyait à l’école de navigation sous-marine pour acquérir les connaissances générales et de spécialité le rendant apte à embarquer. Après quelques mois de navigation il recevait le certificat élémentaire de sous-marinier. Ainsi débutait le cursus avec une alternance d’embarquements et de cours en école de spécialité et de navigation sous-marine qui conduisait à faire une carrière complète jusqu’au grade de maître principal et pour certains, ayant préparé le concours interne très sélectif de la Marine, à être promu officier.

       La première réponse, évidente, au problème de l’armement des SNLE en personnel qualifié avait consisté à puiser parmi les sous-mariniers expérimentés, les former aux technologies nouvelles, à l’école atomique et sur le PAT pour ceux qui mettraient en oeuvre la propulsion nucléaire, chez les industriels d’abord puis au moyen de cours spécialement créés dans les écoles de la Marine pour les missiles, la navigation inertielle et autre usine à oxygène, puis à compléter cet apprentissage technique par une formation au poste de quart au CPESN mis en place au plus près des bateaux en armement à Cherbourg. Le débit de cette filière s’avérait insuffisant.

Comme parallèlement nous conservions une force d’une vingtaine de sous-marins classiques indispensables au plan opérationnel mais aussi gages d’accéder au SNA, il devenait évident que le développement considérable du personnel des forces sous-marines, en nombre et en niveau de qualification, devrait s’appuyer sur d’autres filières. En particulier, ayant mesuré que les équipements des SNLE s’appuyaient sur des technologies dont l’apprentissage et la conduite, voire la maintenance, demandaient des capacités intellectuelles et une formation de plus haut niveau et compte tenu de l’urgence, il s’imposait de recruter pour les sous-marins nucléaires des jeunes officiers mariniers brillants ayant déjà une pratique des bâtiments de surface, titulaires du brevet supérieur, et de les injecter dans le système de la façon la plus efficace possible.

       Cette prise de conscience un peu tardive traduisait le fait que les dimensions du développement nécessaire des personnels sous-mariniers avaient été sous-estimées et/ou prises en compte trop tard. Elle mettait aussi au jour les freins mis à l’entreprise par deux facteurs externes survenus au plus mauvais moment :

       - l’impact négatif sur le volontariat pour les sous-marins des pertes accidentelles de la Minerve et de l’Eurydice ;

       - les très fortes contraintes imposées à nos propres forces et à l’école de navigation sous-marine par les ventes de Daphné au Portugal, à l’Afrique du Sud et au Pakistan.

       Aussi en accord avec la Direction du Personnel, l’Etat-Major de la Marine décida-t-il de prendre des mesures drastiques mais sages puisque, sur l’insistance d’ALFOST, amiral commandant les Forces sous-marines et la Force océanique stratégique (grand commandement à la fois organique et opérationnel nouvellement créé), elles sauvegardaient deux caractères propres aux sous-mariniers, le volontariat et les connaissances générales du sous-marin, chacun à bord ayant une compréhension des principes des installations et la maîtrise des manoeuvres essentielles à la sécurité du bateau.

       On a donc institué une véritable école au sein de chacune des escadrilles, le service Formation, dirigé par un ancien commandant ou un ancien officier en second en attente d’un commandement ou d’aller lui-même à l’EAMEA, assisté d’une petite équipe de MP et PM très expérimentés comprenant au minimum un mécanicien, un électricien et un torpilleur, soit la trilogie des maîtres de central des sous-marins classiques.

       On y prenait en main les recrues des nouvelles filières et on leur apprenait le sous-marin, la coque, la propulsion, la sécurité-plongée, l’électricité, les équipements, les armes, etc… selon les méthodes éprouvées de la maison.

       Alors que l’ENSM instruisait les jeunes brevetés élémentaires après un court embarquement et continuait d’assurer les stages et cours selon la filière classique, la FIS, formation intensive spécialisée, y était dispensée sous forme de stage de près de quatre mois combinant formation à terre et à la mer sur un bâtiment de l’Escadrille. Deux types de stagiaires y étaient mêlés, les ESM/Stage (1/5) présélectionnés pour la formation nucléaire qui rejoindraient ensuite l’EAMEA et ceux (4/5) qui embarqueraient immédiatement munis des qualifications correspondant à leurs fonctions du rôle de l’équipage sur un sous-marin type Narval à

Lorient, Daphné à Toulon.

       Mise en place à titre transitoire jusqu’à ce que les structures adaptées prennent le relais, à Cherbourg d’abord puis à Brest, la formation intensive spécialisée a duré cinq à six ans. Elle a connu un réel succès grâce à la remarquable compétence et à l’engagement exemplaire des personnels qui l’ont animée et marqué bon nombre d’officiers mariniers qui devaient ultérieurement faire carrière aux SNLE.

 

Dissolution avancée par la fin de l’Union soviétiaque

 

       Le soutien direct ou indirect à la force océanique stratégique était devenu la mission prioritaire de l’Escadrille et devait se poursuivre sous des formes différentes jusqu’à sa dissolution en 1995, évoluant avec les capacités des sous-marins mais présentant des grandes constantes telles que la production d’officiers expérimentés, en particulier de commandants, destinés à devenir ultérieurement commandants de SNA et de SNLE. Faire la station d’écoute, participer à des exercices de lutte ASM étaient des contributions directes régulières à la mise en condition des SNLE partant en patrouille. Avec la mise en service des antennes linéaires et des sonars permettant l’écoute des très basses fréquences, les quatre sous-marins type Agosta qui avaient remplacé les Narval retirés du service étaient des moyens efficaces et discrets de surveillance de nos approches particulièrement au regard de sous-marins intrus. L’interception, voire le pistage, de bâtiments étrangers, continuaient d’être parmi les activités les plus intéressantes.

       La question du sous-marin d’attaque à propulsion nucléaire s’était reposée dès la mise en chantier du Redoutable mais les contraintes budgétaires avaient conduit à la repousser et à lancer en 1972 les études pour un sous-marin classique remplaçant des Narval dont la conception intégrait beaucoup de technologies développées au profit des SNLE. Ce sousmarin type Agosta était ensuite construit à quatre exemplaires pour la Marine Nationale à la fin des années 70 et connaissait aussi un certain succès à l’exportation. Ensuite au début des années 80, la décision de construire des SNA était accompagnée de l’abandon de tout programme de sous-marin à propulsion diesel à usage national. Ceci condamnait à terme la présence de sous-marins à Lorient pour deux bonnes raisons : ne pas ajouter un quatrième port doté d’infrastructures nucléaires à Cherbourg port constructeur, Brest port base des SNLE et Toulon port base des SNA, et les difficultés nautiques d’accès à Lorient, dont l’étroitesse des passes au droit de la citadelle, jugées inadmissibles au regard de la sécurité nucléaire.

En principe le sort de l’Escadrille, rebaptisée Escadrille des sous-marins de l’Atlantique en 1970, était donc lié aux prévisions de retrait du service des bateaux qui la composaient, les quatre Agosta et les deux dernières Daphné construites, la Psyché et la Sirène, soit vers 2003. En 1991 l’écroulement de l’Union soviétique sonnait la fin de la guerre froide. La recherche légitime des “dividendes de la paix” réclamés par les opinions publiques conduisait alors le gouvernement de la République à réduire, optimiser, redistribuer les forces armées. L’Esmat était dissoute le 1er juillet 1995, les quatre Agosta affectés à Brest alors que les deux dernières Daphné terminaient leur grand carènage à Keroman avant de rallier Toulon et, assez vite, y être désarmées.

       Assez curieusement, ce chambardement local qui conduisait à fermer le chantier Keroman de la DCN et transférer la majeure partie de la BSM à la ville de Lorient faisait dans un premier temps l’objet de résistances des autorités municipales qui semblaient découvrir le poids économique de ces unités de la Défense, et de luttes syndicales avec défilés sous la banderole BSM vivra par ceux-là mêmes qui, pendant des années, avaient dénoncé la présence de ces sous-marins de l’OTAN.

 

Les restes de 50 ans de présence de sous-marins français à Lorient

 

       La BSM ayant fait l’objet d’une vaste reconversion organisée autour de la voile et des activités nautiques de haut niveau, que reste-t-il de ces cinquante années de présence de sousmarins de la Marine Nationale à Lorient ?

       En 1989, la municipalité avait fait ériger l’étrave du Marsouin en abord de la voie d’accès à la base. Elle avait d’ailleurs accepté la proposition que je lui avais faite, étant alors chef d’escadrille, d’apposer une plaque explicitant la nature de ce mobilier urbain original. Ce témoin des bateaux emblématiques de l’Escadrille que furent les Narval est toujours en place.

       En 1995, lors de la cérémonie de dissolution de l’Esmat, le vice-amiral Dambier, ingénieur sous-marinier, Commandant l’arrondissement maritime de Lorient, confiait à la section Narval de l’AGAASM la conservation du carré du souvenir qui rassemble les plaques commémoratives de l’ingénieur général Stosskopf, résistant dont la BSM portait le nom, du CF Drogou commandant du sous-marin Narval qui, ayant refusé la défaite, disparut en poursuivant le combat après l’appel du général de Gaule le 18 juin 1940, et des sous-mariniers de l’Esmat morts en service commandé lors d’accidents à bord de l’Espadon, du Narval et du Marsouin.

       En 1998, dans la grande période d’incertitude quant à la reconversion de la BSM, une petite équipe de passionnés de la plongée et de l’histoire maritime obtenait de la municipalité, nouveau propriétaire des lieux, les autorisations nécessaires pour sauvegarder le patrimoine unique de la tour Davis d’entraînement au sauvetage, qui aurait été ferraillée, et y installer le Musée sous-marin du pays de Lorient dont l’objet est aussi de présenter des vues sousmarines d’épaves des atterrages en retraçant leur histoire et les circonstances des naufrages.

       En mai 2010 Le sous-marin Flore : Espace découverte du sous-marin était ouvert au public. Ce musée, qui connaît depuis un grand succès, doit surtout à l’engagement tenace d’un groupe de sous-mariniers ayant beaucoup navigué sur les sous-marins de l’Esmat qui, s’étant constitué en association, le Mesmat, a porté le projet contre vents et marées et continue de lui apporter un fidèle soutien en participant activement à la bonne conservation du sous-marin.

       Enfin, au-delà de ces traces matérielles, il reste surtout l’héritage vivant des personnels et des activités de l’Esmat incarné dans les Forces sous-marines d’aujourd’hui, composantes essentielles de la Défense de notre pays. Il reste aussi des anciens de tous grades regroupés dans la section Narval de l’association nationale des sous-mariniers, fiers de leurs accomplissements et qui maintiennent dans la vie courante les liens de camaraderie forgés à bord de ces drôles de bateaux noirs si exigeants mais si attachants.

 

Sous-marins affectés à Lorient

 

L’examen objectif des événements conduit à observer que le premier sous-marin de l’Escadrille fut l’U 123, trouvé en bon état dans l’alvéole 3 du bloc KI lors de la prise en charge de la BSM de Keroman par la Marine Nationale le 11 mai 1945. Ravalé à son seul

numéro 123 dans un premier temps, il était ensuite renommé Blaison.

Tous les ex-allemands ont été affectés à Lorient chargé d’établir leurs feuilles d’armement :

 

U.123, type IX B, renommé Blaison, retiré du service en 1957

U 510, type IX C, renommé Bouan, retiré du service en 1959

U 471, type VII C, renommé Millé, retiré du service en 1962

U 766, type VII C, renommé Laubie, retiré du service en 1961

U 2326, type XXIII, renommé 2326, perdu au large de Toulon au cours d’essais le 06/12/1946

U 2518, type XXI, renommé Roland Morillot, retiré du service en 1967.

 

Outre le fait qu’après guerre le type XXI devait fortement inspirer les concepteurs de sousmarins des pays vainqueurs, on remarquera la longévité inespérée du Roland Morillot admis au service dans la Kriegsmarine en novembre 1944 avec une espérance de vie de moins d’un an et transféré par nos alliés britanniques en février 1946 pratiquement sans documentation.

 

Deux sous-marins de construction britannique ont caréné à Keroman :

Curie, ex-HMS Vox, type V, transféré à la Marine Nationale en 1944, retiré du service en 1946. Ce bateau a fait l’objet du premier mouvement français du slipway de KI le 20 septembre 1945.

Saphir, ex-HMS Satyr, Type S. Quatre sous-marins du type, démilitarisés, ont été prêtés par la Royal Navy en 1951 pour l’entraînement des forces ASM. La Sybille a été perdue accidentellement au large de Toulon le 23 septembre 1952.

 

Sous-marins français construits avant guerre :

Le Glorieux, type 1500 tonnes. Un des cinq sous-marins échappés de Toulon lors du sabordage de la Flotte le 27 novembre 1942, avait repris le combat, retiré du service en 1952 Atalante, type Argonaute (630 tonnes), déclassé car jugé dépassé et en trop mauvais état,

retiré du service en 1946.

Junon, type Minerve, retiré du service en 1954.

Iris, type Minerve, échappé de Toulon lors du sabordage de la Flotte le 27 novembre 1942,

interné à Carthagéne (Espagne) jusqu’à la fin de la guerre, déclassé car jugé dépassé, retiré du service en 1946.

Sous-marins du type L’Aurore, dont la construction avait été reprise après la guerre avec des modifications plus ou moins importantes pour certains : La Créole, L’Africaine, L’Astrée, L’Andromède et L’Artémis. Appelés familièrement sous-marins en bois car leur pont était en bois et pour les deux derniers les neo-vétustes, car dotés d’un schnorchel et d’un massif du type Narval pour les équipements desquels ils servaient de bancs d’essais.

 

Sous-marins type Narval

Narval, Marsouin, Dauphin, Requin, Espadon, Morse, ont été affectés à Lorient la majeure partie de leur vie, devenant rapidement les bateaux emblématiques de l’Escadrille. Ayant bénéficié d’une refonte très réussie, fruit de la coopération étroite entre sous-mariniers et

chantier Keroman de la DCAN, ils ont exécuté les activités opérationnelles, patrouilles et déploiements lointains préparatoires à la FOST. A mi-vie pour le Morse, en fin de vie pour le Requin et le Dauphin, ils ont été sensiblement modifiés pour expérimenter des équipements majeurs des générations successives de SNLE, en particulier dans le domaine de la détection

sous-marine.

L’Espadon, devenu musée au sein de la Base des sous-marins de Saint Nazaire, est conservé en excellent état et poursuit silencieusement sa mission d’éveil de vocations au profit des Forces sous-marines.

 

Pour mémoire, le BSL Rhône, bâtiment affecté à l’Escadrille dès son admission au service actif en 1964 puis, organiquement au Commandement des sous-marins d’attaque jusqu’en 1989, avant d’être stationné à Fort de France pour le soutien des Forces maritimes Antilles Guyane. Un sister-ship réclamé sans succès au profit de l’ESMED pendant des années par l’amiral commandant les Forces sous-marines, en raison de l’intérêt des capacités démontrées d’un tel bâtiment pour la mise en oeuvre de ses forces dans les théâtres respectifs Atlantique, Méditerranée et au-delà.

 

Sous-marins type Daphné

Daphné, Diane, Doris, Flore, Galatée, Junon et Vénus ont toutes été affectées à Toulon après leurs essais à l’armement et connu des débuts un peu laborieux tenant à la correction de défauts de jeunesse liés à leur immersion maximale (fluage de câbles) aux barres arrière (rupture de flexibles) et plus généralement à la mise au point de technologies exigeantes telle la station d’huile différentielle. Ainsi, la Daphné, premier du type ne devait-elle être admise au service actif que le jour de son entrée en premier grand carénage.

A l’exception de la Doris, toutes ont ensuite été affectées à l’Escadrille au gré de rééquilibrages tant en regard des activités opérationnelles de Toulon et de Lorient que des plans de charge des chantiers d’entretien respectifs.

Psyché et Sirène, construites à Brest ont été affectées en permanence à Lorient à l’exception d’un grand carénage à Toulon pour la Psyché.

Ces sous-marins ont fait l’objet de modifications importantes liées à la sécurité-plongée selon les recommandations de la commission d’enquête sur la perte de la Minerve, modifications exécutées à l’occasion d’une indisponibilité de plus de deux mois au fur et à mesure de l’approvisionnement des matériels nécessaires (installation schnorchel, chasse rapide au ballast 5, sectionnements de sécurité Saut du tarn sur les circuits d’eau de mer) ou du premier grand carénage suivant (armoires de manoeuvre des MEP, cloison isolant les groupes électrogènes des MEP) puis d’une modernisation relative principalement au système d’armes torpille filoguidée F17.

Evénement important, le noyage au bassin D de KIII le 11 octobre 1972 de la Sirène alors à flot en indisponibilité entretien. Cet accident du à une faute commune du bord et du chantier lors d’un essai bricolé de fonctionnement d’un tube lance-torpilles intérieur, n’ayant heureusement entraîné aucune blessure ou perte de personnel, a donné lieu à une mobilisation extraordinaire des personnels et des moyens de l’Escadrille et du chantier conduisant au relevage du bateau et au sauvetage et la récupération des équipements. Lors des grandes réparations suivantes assimilées à une entrée avancée en grand carénage, le Directeur des Constructions navales prenait, par précaution seulement en raison de l’age du bateau, la décision de refaire les nappes principales. La Sirène devait poursuivre une carrière normale et être le dernier sous-marin à quitter Lorient en 1997, terminant l’activité du chantier de Keroman.

Retirée du service actif en 1989, la Flore était mise en réserve à Keroman. En 1995 le CF Rome, dernier commandant en second de l’Escadrille la faisait tirer sur le terre-plein entre KI et KII avant la mise hors service définitive de la machinerie du slipway par le chantier,

prenant la mesure conservatoire essentielle qui devait permettre ultérieurement d’en faire un musée.

 

Sous-marin Gymnote

Outil indispensable au développement des systèmes d’armes MSBS successifs (missile balistique stratégique lancé depuis un sous-marin en plongée) ce sous-marin unique avait d’abord été affecté à Toulon pour la mise au point de la phase éjection à l’aide de maquettes inertes. Basé à Lorient à partir de 1968, pour les essais de missiles fabriqués en Gironde qu’il embarquait à Pauillac jusqu’à ce que une partie des installations de l’Ile Longue soient disponibles en 1971. A servi aussi aux développements d’autres équipements des SNLE comme la navigation inertielle. Première application du système de gestion centralisée des plans, notices, rechanges etc… avec introduction d’une nouvelle terminologie et des bigrammes de désignation du matériel. L’équipage du Gymnote ne parlait pas comme nous.

 

Sous-marins type Agosta

Agosta, Beveziers, La Praya et Ouessant ont été affectés à l’Escadrille de la Méditerranée après leurs essais d’armement pour assurer la transition en attendant les SNA. Ensuite, au retrait du service des Narval, ils ont progressivement rallié Lorient. Affectés à Brest après la dissolution de l’Escadrille en 1995.

Pour mémoire, le sous-marin d’intervention Licorne, moyen relevant du GISMER puis du GISMAT, stationné à la BSM de 1980 à 1993. Ce sous-marin jaune, qui avait été financé par la Direction des Engins, avait pour mission première la récupération sur le plateau continental d’objets liés aux essais de missiles effectués depuis le Centre d’essais des Landes. Armé et mis en oeuvre par des sous-mariniers, il bénéficiait du soutien technique du chantier.

Au total, ce sont 36 sous-marins militaires sous-pavillon français qui ont été affectés à l’Escadrille pendant ces cinquante années auxquels nous ajouterons, pour faire bon poids, les 7 Daphné étrangères, 4 portugaises, Albacora, Barracuda, Cachalote, Delfim et 3 sudafricaines, Maria van Riebeeck, Emily Hobhouse, Johanna van der Merwe, toutes construites par le chantier Dubigeon de Nantes et toutes armées pour essais par des équipages français puisés sur l’Escadrille.

 

Commandants de l’Escadrille et de la BSM

CF Lecreux mars 46 - mai 46

CF Brosset- Heckel mai 46 - 18/07/47

CF Cherdel 18/07/47 - 01/10/48

CF Daussy 01/10/48 - 02/12/49

CF Buégué 02/12/49 - 10/01/51

CF - CV Rousselot 10/01/51 - 06/03/52

CF Blanchard 06/03/52 - 13/06/52

CF Bougaran 13/06/52 - 01/11/52

CF Hemmerich 01/11/52 - 31/12/53

CF Hamon 31/12/53 - 31/12/54

CF Roumeas 31/12/54 - 30/12/55

CF Cevaer 30/12/55 - 01/08/57

CF Bordeaux 01/08/57 - 20/08/58

CF Guillon 20/08/58 - 20/08/59

CF Dischamps 20/08/59 - 22/08/60

CF Aubry 22/08/60 - 25/11/61

CF François 25/11/61 - 01/12/62

CF Lassere 01/12/62 - 03/12/63

CF Alleaume 03/12/63 - 04/12/64

CF Lamy 04/12/64 - 16/10/65

CF Villecourt 16/10/65 - 04/11/66

CF Fages 04/11/66 - 17/11/67

CF Crouzat 17/11/67 - 01/10/69

CF Bonnemaison 01/10/69 - 24/08/71

CF Japy 24/08/71 - 01/08/73

CF Lucas 01/08/73 - 07/07/75

CF Merveilleux du Vignaux M. 07/07/75 - 06/05/77

CF - CV Barnaud 06/05/77 - 08/06/79

CF - CV Lecointre 08/06/79 - 02/07/82

CV Nourry 02/07/82 - 29/06/84

CV Sassy 29/06/84 - 07/02/86

CV Latourette 07/02/86 - 22/07/87

CV Sellier 22/07/87 - 15/12/89

CV Marion 15/12/89 - 16/09/91

CV Hourcade 16/09/91 - 15/07/93

CV Troullier 15/07/93 - 01/07/95

 

19 janvier 1976

Le Marsouin appareille pour la mission Orion, déploiement à Djibouti et à l’ouvert de l’Océan Indien.

 



30/11/2017
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